Action … réaction !
L’Association ANNA souhaite exprimer sa consternation devant un dessin illustrant un article du journal L’actu paru le 19 juin 2018, quotidien s’adressant aux jeunes de 14 à 18 ans.
Les réflexions du Pr. Pierre Vabres, vice-président de l’Association ANNA
Réflexions sur l’article « Un espoir dans la lutte contre le syndrome d’Elephant Man »
Dans notre société si pointilleuse sur les discriminations réelles ou supposées, on peut pourtant trouver dans la presse des points de vue surprenants d’ignorance et de vulgarité, méprisants et insultants pour des personnes malades. Par exemple, ce dessin se voulant peut-être humoristique paru dans l’Actu du 19 juin 2018, illustrant un entrefilet intitulé « Un espoir dans la lutte contre le syndrome d’Elephant Man », où un médecin face à une masse informe représentant un malade déclare : « Pour guérir, le malade doit avaler cette pilule ! Le plus dur est de trouver la bouche ! »
Une telle caricature aurait eu toute sa place dans Hara Kiri, qui dépassait allègrement les limites de la bienséance en revendiquant le titre de « journal bête et méchant ». Mais on savait justement à quoi s’attendre en l’ouvrant, et son étalage outrancier d’humour stupide et grinçant en faisait précisément un antidote à la bêtise. Ce dessin est en revanche totalement déplacé dans un quotidien « pour la jeunesse ». Difficile de se retrancher derrière l’excuse de l’humour noir, le second degré, ou l’humour décalé, car la moquerie s’attaque ici à des personnes bien réelles. Elle s’accompagne d’un processus de déshumanisation : le patient est caricaturé sans le moindre attribut physique humain, l’absence supposée de bouche le privant d’un des attributs symboliques du visage, c’est à dire d’une des marques de l’identité de la personne humaine.
Peut-être l’auteur pensait-il faire une exagération comique ; hélas, la réalité de cette maladie rare, quand on la connaît, est parfois pire. Qu’y a-t-il d’ailleurs de risible dans la souffrance d’autrui ? Peut-être la souffrance liée à l’apparence est-elle considérée comme mineure ; pourtant elle altère considérablement la vie des gens. Ces dernières années a eu lieu une prise de conscience sur l’impact psychosocial d’un handicap esthétique et le poids du regard d’autrui, grâce à des associations comme Changing Faces UK en Grande-Bretagne ou Anna en France.
On ne peut que regretter aussi les termes choisis pour leur sensationnalisme. Certes, le terme d’Elephant Man est parlant pour le grand public (quoique trompeur) pour désigner le syndrome CLOVES *, maladie rare dont le nom n’évoque rien en français. Mais les métaphores animales, fortement stigmatisantes, véhiculent implicitement un déni d’humanité envers les personnes qu’elles désignent. Elles ont été petit à petit abandonnées dans le discours médical, comme c’est le cas par exemple pour le terme de bec-de-lièvre. Enfin, parler de lutte, comme on peut le faire pour les maladies infectieuses, est inapproprié pour les maladies génétiques. On ne combat pas les gènes qui font notre identité, et il serait de toute façon malvenu de reprocher à un patient une quelconque défaite face à une maladie parce qu’il n’aurait pas assez lutté.
Ces réflexions n’ont pas pour but d’imposer une quelconque censure, simplement d’inviter à réfléchir à ce que devrait être un comportement décent et un regard bienveillant vis-à-vis des personnes souffrant de maladies rares dans nos sociétés.
Pr. Pierre Vabres
Vice président de l’Association ANNA
* CLOVES est l’acronyme de Congenital Lipomatous Overgrowth, Vascular anomalies, Epidermal nevus, Skeletal anomalies.
Et qu’en pense le groupe des « Aînés d’Anna » ?
Monsieur le rédacteur en chef du journal L’Actu,
Au nom des « Aînés d’Anna », groupe de travail de l’association ANNA qui a pour objet d’accompagner les personnes atteintes de handicaps morphologiques visibles (ou esthétiques) congénitaux comme le Syndrome CLOVES, permettez-nous de vous dire que nous avons été extrêmement choqués par le dessin illustrant l’article « Un espoir dans la lutte contre le syndrome d’éléphant man » paru dans le journal L’Actu du 19 juin 2018.
Notre groupe est composé de jeunes adultes touchés directement ou indirectement par une différence morphologique visible. Nous nous sommes donné pour mission ambitieuse, avec le soutien de l’association ANNA et de plusieurs associations de malades, d’accompagner les enfants et adolescents atteints d’un handicap esthétique afin de les aider à s’assumer et à faire face au regard de l’autre.
Dans ce groupe nous avons tous eu à connaître le regard pesant de l’autre, les questions ou remarques gênantes sur notre différence et avons dû apprendre « à vivre avec » car il est difficile de passer inaperçu quand son physique n’est pas « comme tout le monde ». Mais aujourd’hui, forts de nos expériences respectives, nous avons voulu constituer ce groupe pour faire profiter de notre vécu, notamment pour les plus jeunes, en partageant nos parcours de vie et en leur prouvant qu’il n’y a aucune fatalité et que malgré leur différence, plus ou moins visible, elles sont de belles personnes et peuvent faire de leur handicap une grande force dans leur vie de tous les jours.
Changer le regard sur la différence est un combat difficile à mener, surtout en voyant des dessins comme le vôtre ironisant sur le cas d’une personne atteinte du syndrome Cloves, également maladroitement appelé maladie d’« Elephant man ». Nous ne pouvons tolérer une telle stigmatisation alors même que l’objectif de votre article est d’informer vos jeunes lecteurs sur les avancées de la recherche médicale sur ce syndrome qui représente tant d’espoir pour les familles.
Votre dessin est discriminant à l’égard des malades. Est-il décent de faire passer le message à un jeune public qu’il est normal de rire de personnes atteintes par de telles malformations physiques ? Votre dessin est irrespectueux vis-à-vis des malades et de leurs familles et va à l’encontre même de l’information principale de cet article qui elle est vraiment réjouissante, celle d’une avancée médicale importante : le développement d’un traitement expérimental contre cette maladie génétique rare.
Malheureusement toutes les personnes atteintes de handicaps morphologiques visibles n’ont pas la chance d’avoir un traitement pour leur maladie…
Pauline, Secrétaire du groupe « Les Aînés d’Anna »
Comme le rappelle très justement Anne-Sophie Lefeuvre, présidente de l’Association syndrome de CLOVES, dans un article du journal la Croix du 19 juin 2018, les personnes atteintes de handicap esthétique ne sont pas des « bêtes de foire ».
Le traitement de certaines informations nécessite discernement, réflexion, finesse, intelligence ainsi que dignité.
Docteur Béatrice de REVIERS
Présidente de l’Association ANNA
Bravo pour ces mises au point du Pr Vabres,
du groupe Ainės d’ ANNA et de l’association syndrome de Cloves.
Il est bon que les donneurs de leçons auto proclamés soient de temps en temps ramenés à la raison.
Je ne connaissait nin le journal, ni l’article… C’est immonde!
Bravo pour vos réactions!
Mais il n’y a pas que ces gens orduriers…
Il existe aussi des bruits de fond, des signaux faibles…
Prions pour que ces signaux faibles ne restent pas faibles